J'initie ce sujet afin de compiler toutes les données que j'ai pu croiser concernant la conception des réducteurs. Attention : je n'ai rien validé moi-même par l'expérimental ! Mais d'autres l'ont fait et le but de ce sujet est de s'appuyer sur leur expérience. Je précise que je critique avec mon regard d'ingénieur aéro ...
Qu'on s'accorde ceci est un guide au sens aiguillage mais ne dispense pas de faire son propre raisonnement et ne constitue en rien une véritable règle de conception.
En revanche je voudrais que ceci aboutisse sur une discussion sensée, structurée et argumentée afin de faire progresser le sujet.
Partie 1 : le type de transmission
Partie 2 : les aspects vibratoires
Partie 3 : les paliers et guidages
Partie 4 : le dimensionnement structurel
Tout d'abord, un point lexical :
- La fréquence propre, fréquence naturelle ou fréquence d'excitation est la fréquence à laquelle un système résonne.
- La résonance est un phénomène vibratoire lors duquel chaque oscillation gagne en amplitude et, si absence d'amortissement, va jusqu'à la destruction du système.
- L'amortissement est une fonction de dissipation d'énergie. Elle n'affecte nullement la fréquence mais limite l'amplitude. Le mécanisme de dissipation est souvent thermique (frottement). Un amortisseur fortement sollicité peut donc surchauffer. Il y a toujours un peu d'amortissement (exemple échauffement de la matière au sein d'un ressort).
- La fréquence propre est fonction, sur un système linéaire, de la raideur du ressort de la masse qui translate au bout de ce ressort. Tout système a une certaine raideur. Un système en apparence rigide a une raideur très élevée et donc une fréquence propre très élevée; sollicité à haute fréquence, il entrera en résonance.
- Sur un système rotatif, la fréquence propre est fonction de l'inertie de l'objet en rotation et de la raideur du ressort de torsion.
- Le diamètre primitif d'une transmission est le diamètre sur lequel se fait la transmission de l'effort.
- La fatigue est un phénomène d'endommagement de la matière pouvant aller jusqu'à la rupture lorsque un chargement est cyclique en deçà de la limite élastique (répétition de chargement / déchargement). La résistance à la fatigue est inférieure à la résistance à la rupture. Il s'agit d'un phénomène de propagation des micro fissures. Les métaux et notamment les alliages d'aluminium sont plus sujets à la fatigue que les plastiques ou les composites.
Partie 1: Quel choix dans le type de transmission ?
Souvent la première question est : engrenages ou courroie ? Il n'y a pas de réponse absolue. Les deux sont éprouvés, marchent parfaitement s'ils sont correctement dimensionnés et réalisés. Cela comprend : savoir calculer les charges et toutes autres données d'entrée, savoir faire les bonnes hypothèses, et savoir réaliser en maîtrisant les tolérances qui permettent au système de fonctionner dans les conditions de conception.
Oui, les chaînes existent, mais sont moins intéressantes en termes de masse, bruit, rendement et sont plus questionnées en durée de vie (pour des raisons d'élongation).
Il y a souvent de houleux débats selon lequel un système est meilleur que l'autre. Ils sont tous les deux potent, tant que le concepteur et le fabricateur respectent les règles.
Les courroies sont utilisées crantées au-delà d'une certaine puissance car le courroies non synchrones (trapézoidale, polyv, microv, ...) présentent des efforts et un encombrement (et une masse) injustifiables lorsque le couple atteint certaines valeurs. Généralement c'est à oublier au-dessus de 50 hp. Alors que les courroies non crantées sont capables de limitation de couple et d'amortissement par friction, les courroies crantées ne permettent aucun amortissement ni aucune élasticité.
D'un point de vue opérationnel, les courroies tolèrent des tolérances d'alignement plus grandes que les engrenages mais requièrent des moyens statiques ou dynamiques de maintenir la tension sur le "brin mou". Si tel n'est pas le cas, il y aura surcharge lorsque la courroie va tenter d'escalader la poulie. Un moyen statique (galet fixe, entraxe réglable) va tendre la courroie au-delà de l'effort nominal afin que, en pleine charge, il reste de la tension dans le brin mou. Les efforts sur les paliers (moteur, si pas de roulements côté menant) sont donc constants et élevés de l'arrêt jusqu'au plein régime / pleine charge. Le système doit être ajusté en tension au cours de la vie du système, lorsque la courroie s'allonge légèrement. Un système dynamique (galet sur balancier ou coulissant) maintiendra (à l'aide d'un ressort) la même tension sur le brin mou. Les efforts sur les paliers seront donc faibles à l'arrêt et bas régime et plus élevés à pleine charge. L'inconvénient est que ce système devra être calculé et adapté en fréquence propre pour ne pas rentrer en résonance. Une inversion de couple pourrait également être dommageable, le brin mou devenant brin tendu.
Une courroie permet par ailleurs d'éloigner considérablement les deux axes sans alourdir de beaucoup le réducteur. Particulièrement adapté, donc, aux moteurs en ligne. Elle se passera également d'huile.
Les engrenages sont généralement synonymes de robustesse mais sont aussi sensibles que tout autre système de transmission. Ils sont simplement plus connus et maîtrisés (et non propriétaires d'une marque) tant en conception qu'en fabrication et en opérationnel. La plage de puissance possible est en revanche très élevée pour un encombrement minime.
Un engrenage est soumis à une très forte pression de contact entre dentures, à de la flexion à la base des dentures, et à un léger glissement lors de l'engrènement. Les tolérances de fabrication et les propriétés des matériaux employés influent grandement sur la résistance et la durée de vie d'un engrenage. Alors que les courroies sont "sur catalogue", les engrenages sont "à la carte" et doivent être spécifiés en tolérance dimensionnelle (équivalent AGMA 10 minimum pour nous), en matière, traitement thermique, traitement de surface (et, dépendant de ça, dureté de surface). Il s'agit donc d'un système plus dur à concevoir pour le commun des mortels mais au demeurant très compact, très durable, et plus facile à se procurer qu'une courroie faite par un seul fabricant et des poulies à profil spécifique.
Un mot concernant le profil de denture : bien que louages sont souvent faites des dentures hélicoïdales pour leur silence et leur progressivité de contact, un engrenage à denture droite est plus facile à fabriquer avec les tolérances nécessaires, et même si plus bruyant, n'en est pas moins résistant. N'oublions pas que le Rolls Royce Merlin et de nombreux homologues (dont le Rotax 912) ont des dentures droites. Les dentures hélicoïdales sont plus rares en transmission de puissance de moteurs à pistons. Nous pourrons nous appesantir sur la métallurgie plus tard.
D'un point de vue opérationnel, des engrenages doivent baigner en bain d'huile, si possible avec jet d'huile, pour lubrifier et refroidir. Ceci oblige donc à faire une transmission totalement fermée. L'huile moteur peut être utilisée sans crainte, l'histoire a prouvé la solution viable et même préférable pour ne pas entretenir 2 circuits d'huile différents. Les moteurs en sont pas équipés de filtres pour rien. Pour les grosses particules pouvant résulter d'une casse, un bouchon de vidange aimanté évite les ennuis. Les efforts sur les paliers sont généralement semblables à un système par courroie à tendeur dynamique. En revanche, attention en cas de pignon renvoi pour surélever l'arbre d'hélice. Celui-ci verra de la fatigue plus intense (inversion de charge) et un effort aux paliers double des deux autres. On pourrait penser que ce pignon souffre moins mais c'est en fait l'inverse.
Partie 2 : les phénomènes vibratoires.
Où là où les efforts sont souvent anéantis.
En fait il s'agit de comprendre quels phénomènes sont en jeu et comment les contrer.
Un moteur à explosion a par nature de nombreuses sources d'excitation pour la transmission, à différentes fréquences et amplitudes. Le cas le plus évident est celui de l'alternance compression / combustion, à une fréquence dépendant du nombre de cylindres et de si le moteur est 2 ou 4 temps. L'amplitude en dépend également: alors qu'un monocylindre a une phase "à vide" où le moteur comprime sur son inertie (et est donc déficitaire de couple), les moteurs de plus de 4 cylindres ont des phases de combustion et compression se chevauchant. Les effets d'accélération / décélération des bielles et pistons se couplent à cela. Le 4 cylindres 4 temps est juste entre les deux (une combustion se termine lorsqu'une compression commence). Un taux de compression plus élevé (type diesel) donnera également une amplitude vibratoire plus élevée. Mais il y a d'autres sources : balourd, effort de l'arbre à came sur les soupapes, ... A ne pas sous-estimer non plus !
A l'autre bout se trouve l'hélice, qui exprime une inertie de rotation conséquente.
Nous avons donc un système hélice + réducteur, excité en vibrations par le moteur.
Si une des fréquences propres du système réducteur / hélice se trouve proche des fréquences d'excitation du moteur, il y aura résonance destructrice.
Une note sur les différentes plages de régime du moteur : bien que l'effort de combustion soit faible au ralenti et aux faibles régimes, il faut considérer les effets de la compression, qui varient beaucoup moins en fonction de la charge et du régime de rotation. Le problème est que l'énergie "disponible" pour la compression, emmagasinée par l'inertie du vilebrequin, augmente au carré de la vitesse de rotation. Aux bas régimes, l'énergie est faible, alors que l'effort de compression est, lui, bien présent. L'amplitude vibratoire, en sortie de vilebrequin est donc importante, même à partir des bas régimes.
En fait, pour avoir un réducteur 100% fiable sans sa conception, il faudrait mettre le moteur sur un banc pour établir son profil de couple vibratoire !
Comment éviter les effets destructeurs ?
Sur l'aspect vibratoire pur, la fréquence propre d'un système en rotation est : racine (K/I); K étant le coefficient de raideur, et I étant l'inertie.
Pour éviter toute résonance, il est nécessaire d'adapter la fréquence propre de manière à ce qu'elle soit assez loin des fréquences d'excitation.
Le système réducteur + hélice peut se modéliser par la série suivante : l'inertie du pignon ou roue menée + la raideur de la courroie ou du contact de denture + l'inertie du pignon ou de la roue menée + la raideur de l'arbre d'hélice et des pales (en flexion) + l'inertie de l'hélice. Tout cela en fait un système plutôt complexe à analyser !
Attention, il y a une subtilité de calcul concernant l'inertie de l'hélice : il y a transformation à faire pour prendre en compte le rapport de réduction.
Il est important de comprendre la notion de transmissibilité des vibrations.
- Lorsque la fréquence propre colle à la fréquence d'excitation, il y a amplification du mouvement (résonance). Plus l'amortissement est important, plus l'amplification est faible (mais présente).
- Lorsque la fréquence propre est supérieure d'au moins 4 fois à la fréquence d'excitation, le système transmet toutes les vibrations sans atténuation ni amplification (amortissement ou non).
- Lorsque la fréquence propre est inférieure d'au moins 4 fois à la fréquence d'excitation, le système atténue les vibrations. Et plus l'amortissement est faible, plus cette atténuation se fait.
Premier moyen
Le plus facile est d'adopter un volant d'inertie, ou volant moteur, qui va augmenter l'inertie en amont du réducteur. Ainsi, les pics de couple vont en partie être "consommés" dans l'accélération et décélération de cette forte inertie et l'amplitude de l'excitation du réducteur,en sortie de vilebrequin, va diminuer. Même si cette solution est lourde, elle reste très efficace. A noter qu'utiliser un disque plat n'est pas la meilleure méthode : pour avoir le maximum d'inertie d'une masse donnée, elle doit être placée le plus loin possible de l'axe de rotation. Penser donc à ajourer près de l'axe dans la limite de résistance de l'ensemble. L'inertie devra être calculée pour satisfaire le critère de fréquence propre.
Second moyen
Celui consiste à intégrer un élément de raideur torsionnelle faible. Classiquement : ce que l'on appelle, par abus de langage, un amortisseur de couple, souvent fait en élastomère. Le terme plus exact serait coupleur torsionnel, ou encore, adaptateur fréquentiel ... A noter que de simples ressorts hélicoïdaux, montés tangeants, feront l'affaire ! Comme sur un volant moteur bi-masse ou sur les embrayages de moto !
On notera que ce coupleur doit avoir les caractéristiques suivantes :
- Supporter le couple maximal imposé, sans quoi il se détruira
- Avoir une raideur torsionnelle adaptée. Il ne suffit pas de "mettre un amortisseur". Bien que dans la pratique les valeurs permettent de descendre sous le seuil nécessaire, ne vous privez pas du calcul.
- Permettre un débattement angulaire suffisant pour jouer son rôle. Je n'ai pas plus d'élément là-dessus mais il semble que les types Paulstra Straflex ou Lovejoy LF soient bien adaptés (+/- 5° mini).
Je pense que le meilleur compromis masse / encombrement se fera avec les deux moyens à la fois.
Ce dispositif d'adaptation fréquentielle doit être placé entre le moteur et le réducteur bien sûr, afin d'éviter l'excitation de tous les éléments du système.
Exemple : si l'adaptation fréquentielle se fait entre hélice et réducteur, le sous-système réducteur, dont la raideur est grande et'inertie est modérée, aura une fréquence propre très élevée. Il ne sera donc pas susceptible de résonner, en revanche il verra quand même 100% de l'amplitude des pics de couple.
J'alimenterai au fur et à mesure ce post en éléments, images, et retours d'expérience.
Si quelqu'un en sait plus ou pense que je me trompe, qu'il me corrige !
Sources :
http://www.epi-eng.com
http://www.kineticsystems.com/page306.html