Les instructeurs (et les autres) sont-ils conscients des risques qu’ils prennent ?
Publié : 02 mars 2018, 13:48
Ont-ils bien réalisé à quel point notre société c’est « judiciarisée », suivant l’exemple des USA ?
Savent-ils que dans leur activité, souvent bénévole, une petite différence entre ce qu’ils ont écrit sur les papiers de test ou le cahier de progression et ce qui est stipulé sur les textes réglementaires peut les mener, en cas d’accident, à la ruine et la confiscation de leur patrimoine ?
Peut-être les jeunes ont-ils été plus sensibilisés à ces éventualités, comme j’ai pu le constater en Ligne, car j’ai remarqué à maintes reprises lors de ma carrière que des décisions de jeunes pilotes étaient souvent d’avantage motivées par d’éventuels risques judiciaires plutôt que par le bon sens ou l’expérience du bon artisan-pilote, et je pourrais donner beaucoup d’exemples anecdotiques à ce sujet, comme certainement beaucoup de CDB de ma génération.
Voici un cas précis, c’est le mien : Entré en compagnie après dix ans d’aviation d’affaire dans la petite société que j’avais fondée à Lyon, j’avais proposé à mon successeur et ami de continuer à faire les contrôles compagnies (hors lignes et en ligne) ainsi que les renouvellements de QT et d’IFR des pilotes à titre bénévole, jusqu’à ce qu’il trouve un successeur instructeur de classe CRE/CRI pour me remplacer.
Avec l’autorisation de mon employeur, je procédais ainsi, en aout 2006, aux contrôles En Ligne et Hors ligne sur Beech 90 d’un nouveau pilote embauché se prévalant des conditions demandées par l’employeur, soit plus de 500 h sur le type, avec la qualification d’Instructeur de Classe afin de prendre ma suite pour effectuer les contrôles des pilotes.
Pour effectuer ces contrôles d’entrée en Compagnie (Stage d’Adaptation à l’Entreprise) comprenant des cours théoriques et Contrôles en vol dont j’étais chargé ce jour là, nous avions une opportunité inhabituelle, en effet, un vol de mise en place à Palma de Majorque pour aller chercher des passagers et les ramener à Nice, deux destinations avec fort trafic en Aout, phraséologie en anglais, opérations commerciales avec vrais passagers au retour, donc l’occasion de bien tester un nouveau pilote en conditions réelles plutôt que de faire les habituels petits « sauts de puces » à vide sur les aérodromes autour de Lyon. Pour faire bon poids, nous avons fait une étape à Cannes au retour de Nice, et un retour à Lyon-Bron en VFR avec exercices de maniabilité lors de ce retour et en tours de pistes à l’arrivée.
Tous les exercices ayant été effectués sur 6h15 de vol, les contrôles ont été validés…
Hélas, fin octobre suivant, crash au décollage de nuit à Besançon-la-Vèze faisant 4 morts, mise en examen du gérant, puis de moi 4 ans après, puis 10 ans après d’un agent de la DGAC car la licence du pilote avait été validée à tort, car ayant échoué à l’examen complémentaire d’anglais imposé par les nouvelles licences européennes.
Que m’est-il reproché ? d’avoir, bien que les contrôles aient été validés le même jour et tous les exercices effectués, il apparaît que le contrôle En Ligne a été effectué sur la première étape effectuée en IFR , alors que le JAR OPS 1 stipule que le contrôle En Ligne doit être effectué en dernier, ce qui a une logique dans le cadre de l’Adaptation En Ligne d’un pilote nouvellement qualifié sur le type et opérant en équipage, puisque l’AEL s’effectuant avec des passagers, il faut bien que le nouveau pilote soit capable de traiter les pannes en équipage, alors que sur un avion mono-pilote sur lequel il n’y a pas de formation au travail en équipage propre à chaque Compagnie, le traitement des pannes se fait en accord avec les prescriptions du Manuel de Vol rédigé par le constructeur, est le même d’une Compagnie à l’autre, et combien même le pilote testé s’avèrerait incapable de gérer la panne lors du vol de contrôle avec des passagers, l’examinateur étant qualifié sur le type peut alors reprendre la main (et ajourner le candidat, bien sûr).
C’était aussi pour cette raison que j’étais CDB sur l’étape avec passagers, bien qu’ayant délégué la fonction pilotage au candidat testé.
- L’état de l’épave n’a pas permis de mettre en évidence une panne, et on ne connaît pas les causes du crash…
- Une erreur du pilote n’a pas pu être mise en évidence faute d’enregistreur de vol, à noter qu’en place droite se trouvait un autre pilote accompagnateur, certe non qualifié sur BE90, mais CDB dans la compagnie sur DA42, ayant plus de 3000h de vol et avec Q.T A320
- La conformité des contrôles en vol du pilote ont été validés par la DGAC, aussi bien lors d’un audit effectué dans la Compagnie après l’accident que lors d’une consultation des experts de la DSAC/PN
Pourtant, un lien de causalité a été trouvé par la Cour en première instance du tribunal de Besançon, confirmant en appel le mois dernier pour les trois prévenus les peines de 3 ans de prison avec sursis, cette dernière ayant cependant reconnu son incompétence pour les dédommagements au civil en application de la Convention de Varsovie.
Les parties civiles, qui ont dédommagé les victimes (association de blessés, caisses de retraites et d’allocations familiales) se pourvoient en cassation, voyant leur échapper les millions d’euros auxquels nous étions condamnés en première instance.
Ce que je voulais faire savoir : pour une écriture, un mot mal placé dans un compte-rendu, la vie peut basculer, pour ma part, c’est 12 ans de procédures, plus d’une centaine de millier d’euros en frais d’avocats et de procédures, une dépression, un divorce, et la perte probable de tout mon patrimoine, saisie de mes biens et de ma pension de retraite, de rien laisser que des dettes à mes enfants et finir ma vie avec 600 euros par mois.
Amis instructeurs, réfléchissez avant de vouloir rendre service, et cela peut même s’appliquer au bon samaritain qui emmène un jeune en baptême de l’air dans son ULM, en cas d’accident, peut-il prouver que son moteur Rotax n’a pas dépassé le potentiel calendaire ? a-t-il été entretenu selon le Manuel Constructeur et par une personne reconnue comme qualifiée par ce constructeur ?
Autant de questions qui seront examinées lors de l’instruction, et même si la victime ou sa famille de porte pas plainte, il y a fort à parier que l’Etat se portera partie civile…
Personnellement, je n’emmène plus personne dans mon ULM (j’ai vendu mon avion pour payer l’avocat), ne prends plus d’autostoppeurs, et dans tous mes actes, je deviens obnubilé de manière paranoïaque par les suites possibles de mes actes…
Alain Racoupeau
Pilote de Ligne, instructeur, pilote planeur, ULM, qualifié montagne, voltige, hydravion.
Savent-ils que dans leur activité, souvent bénévole, une petite différence entre ce qu’ils ont écrit sur les papiers de test ou le cahier de progression et ce qui est stipulé sur les textes réglementaires peut les mener, en cas d’accident, à la ruine et la confiscation de leur patrimoine ?
Peut-être les jeunes ont-ils été plus sensibilisés à ces éventualités, comme j’ai pu le constater en Ligne, car j’ai remarqué à maintes reprises lors de ma carrière que des décisions de jeunes pilotes étaient souvent d’avantage motivées par d’éventuels risques judiciaires plutôt que par le bon sens ou l’expérience du bon artisan-pilote, et je pourrais donner beaucoup d’exemples anecdotiques à ce sujet, comme certainement beaucoup de CDB de ma génération.
Voici un cas précis, c’est le mien : Entré en compagnie après dix ans d’aviation d’affaire dans la petite société que j’avais fondée à Lyon, j’avais proposé à mon successeur et ami de continuer à faire les contrôles compagnies (hors lignes et en ligne) ainsi que les renouvellements de QT et d’IFR des pilotes à titre bénévole, jusqu’à ce qu’il trouve un successeur instructeur de classe CRE/CRI pour me remplacer.
Avec l’autorisation de mon employeur, je procédais ainsi, en aout 2006, aux contrôles En Ligne et Hors ligne sur Beech 90 d’un nouveau pilote embauché se prévalant des conditions demandées par l’employeur, soit plus de 500 h sur le type, avec la qualification d’Instructeur de Classe afin de prendre ma suite pour effectuer les contrôles des pilotes.
Pour effectuer ces contrôles d’entrée en Compagnie (Stage d’Adaptation à l’Entreprise) comprenant des cours théoriques et Contrôles en vol dont j’étais chargé ce jour là, nous avions une opportunité inhabituelle, en effet, un vol de mise en place à Palma de Majorque pour aller chercher des passagers et les ramener à Nice, deux destinations avec fort trafic en Aout, phraséologie en anglais, opérations commerciales avec vrais passagers au retour, donc l’occasion de bien tester un nouveau pilote en conditions réelles plutôt que de faire les habituels petits « sauts de puces » à vide sur les aérodromes autour de Lyon. Pour faire bon poids, nous avons fait une étape à Cannes au retour de Nice, et un retour à Lyon-Bron en VFR avec exercices de maniabilité lors de ce retour et en tours de pistes à l’arrivée.
Tous les exercices ayant été effectués sur 6h15 de vol, les contrôles ont été validés…
Hélas, fin octobre suivant, crash au décollage de nuit à Besançon-la-Vèze faisant 4 morts, mise en examen du gérant, puis de moi 4 ans après, puis 10 ans après d’un agent de la DGAC car la licence du pilote avait été validée à tort, car ayant échoué à l’examen complémentaire d’anglais imposé par les nouvelles licences européennes.
Que m’est-il reproché ? d’avoir, bien que les contrôles aient été validés le même jour et tous les exercices effectués, il apparaît que le contrôle En Ligne a été effectué sur la première étape effectuée en IFR , alors que le JAR OPS 1 stipule que le contrôle En Ligne doit être effectué en dernier, ce qui a une logique dans le cadre de l’Adaptation En Ligne d’un pilote nouvellement qualifié sur le type et opérant en équipage, puisque l’AEL s’effectuant avec des passagers, il faut bien que le nouveau pilote soit capable de traiter les pannes en équipage, alors que sur un avion mono-pilote sur lequel il n’y a pas de formation au travail en équipage propre à chaque Compagnie, le traitement des pannes se fait en accord avec les prescriptions du Manuel de Vol rédigé par le constructeur, est le même d’une Compagnie à l’autre, et combien même le pilote testé s’avèrerait incapable de gérer la panne lors du vol de contrôle avec des passagers, l’examinateur étant qualifié sur le type peut alors reprendre la main (et ajourner le candidat, bien sûr).
C’était aussi pour cette raison que j’étais CDB sur l’étape avec passagers, bien qu’ayant délégué la fonction pilotage au candidat testé.
- L’état de l’épave n’a pas permis de mettre en évidence une panne, et on ne connaît pas les causes du crash…
- Une erreur du pilote n’a pas pu être mise en évidence faute d’enregistreur de vol, à noter qu’en place droite se trouvait un autre pilote accompagnateur, certe non qualifié sur BE90, mais CDB dans la compagnie sur DA42, ayant plus de 3000h de vol et avec Q.T A320
- La conformité des contrôles en vol du pilote ont été validés par la DGAC, aussi bien lors d’un audit effectué dans la Compagnie après l’accident que lors d’une consultation des experts de la DSAC/PN
Pourtant, un lien de causalité a été trouvé par la Cour en première instance du tribunal de Besançon, confirmant en appel le mois dernier pour les trois prévenus les peines de 3 ans de prison avec sursis, cette dernière ayant cependant reconnu son incompétence pour les dédommagements au civil en application de la Convention de Varsovie.
Les parties civiles, qui ont dédommagé les victimes (association de blessés, caisses de retraites et d’allocations familiales) se pourvoient en cassation, voyant leur échapper les millions d’euros auxquels nous étions condamnés en première instance.
Ce que je voulais faire savoir : pour une écriture, un mot mal placé dans un compte-rendu, la vie peut basculer, pour ma part, c’est 12 ans de procédures, plus d’une centaine de millier d’euros en frais d’avocats et de procédures, une dépression, un divorce, et la perte probable de tout mon patrimoine, saisie de mes biens et de ma pension de retraite, de rien laisser que des dettes à mes enfants et finir ma vie avec 600 euros par mois.
Amis instructeurs, réfléchissez avant de vouloir rendre service, et cela peut même s’appliquer au bon samaritain qui emmène un jeune en baptême de l’air dans son ULM, en cas d’accident, peut-il prouver que son moteur Rotax n’a pas dépassé le potentiel calendaire ? a-t-il été entretenu selon le Manuel Constructeur et par une personne reconnue comme qualifiée par ce constructeur ?
Autant de questions qui seront examinées lors de l’instruction, et même si la victime ou sa famille de porte pas plainte, il y a fort à parier que l’Etat se portera partie civile…
Personnellement, je n’emmène plus personne dans mon ULM (j’ai vendu mon avion pour payer l’avocat), ne prends plus d’autostoppeurs, et dans tous mes actes, je deviens obnubilé de manière paranoïaque par les suites possibles de mes actes…
Alain Racoupeau
Pilote de Ligne, instructeur, pilote planeur, ULM, qualifié montagne, voltige, hydravion.